Au-delà de son enjeu sportif, la Supercoupe d'Europe entre le Bayern de Guardiola et le Chelsea de Mourinho, vendredi à Prague (20h45), vaudra pour les retrouvailles entre les anciens coaches du Barça et du Real. Le journaliste et écrivain Thibauld Leplat, auteur du "Cas Mourinho"*, s'attend à «une ambiance froide mais bien élevée» entre les deux bancs.
«Thibauld Leplat, José Mourinho n'a pas pu s'empêcher de titiller Pep Guardiola avant leurs retrouvailles. Ça vous a forcément rappelé des souvenirs de l'ancien entraîneur du Real que vous avez suivi au jour le jour pendant trois ans...
Quand il dit que le Bayern de Guardiola est moins fort en ce moment, il n'a pas tort sur le fond. Un changement d'entraîneur est toujours un moment délicat. Mais il n'y a pas que le Bayern dans ce cas. Chelsea aussi a changé d'entraîneur, son équipe à lui aussi est fragilisée... Même si Mourinho et Guardiola sont rivaux depuis leur période en Espagne, entre Chelsea et le Bayern, il n'y a pas le passif d'un Madrid-Barça. Par ailleurs, la Supercoupe d'Europe, même s'il ne l'a jamais gagnée, est un titre mineur pour Mourinho. Il s'agit surtout pour lui de montrer à ses joueurs qu'ils sont capables de faire de grandes choses cette saison. Avec Porto, il avait perdu (0-1) la Supercoupe contre le Milan d'Ancelotti en 2003, puis remporté la Ligue des champions à la fin de la saison (3-0 contre Monaco). Mourinho va s'attacher à dédramatiser l'enjeu de ce match. Quelle qu'en soit l'issue.
Quand il dit que le Bayern de Guardiola est moins fort en ce moment, il n'a pas tort sur le fond. Un changement d'entraîneur est toujours un moment délicat. Mais il n'y a pas que le Bayern dans ce cas. Chelsea aussi a changé d'entraîneur, son équipe à lui aussi est fragilisée... Même si Mourinho et Guardiola sont rivaux depuis leur période en Espagne, entre Chelsea et le Bayern, il n'y a pas le passif d'un Madrid-Barça. Par ailleurs, la Supercoupe d'Europe, même s'il ne l'a jamais gagnée, est un titre mineur pour Mourinho. Il s'agit surtout pour lui de montrer à ses joueurs qu'ils sont capables de faire de grandes choses cette saison. Avec Porto, il avait perdu (0-1) la Supercoupe contre le Milan d'Ancelotti en 2003, puis remporté la Ligue des champions à la fin de la saison (3-0 contre Monaco). Mourinho va s'attacher à dédramatiser l'enjeu de ce match. Quelle qu'en soit l'issue.
«Le Happy One est un personnage temporaire. Tôt ou tard, le Special One réapparaîtra.»À quoi vous attendez-vous entre les deux bancs ? On se souvient des provocations de Mourinho, de ses dérapages, du doigt dans l'oeil... Est il encore capable de ses outrances (souvent mûrement calculées) ou campe-t-il désormais un autre personnage ?
Entre les deux bancs, l'ambiance sera froide mais bien élevée. N'oublions pas qu'il s'est inventé un nouvel avatar : le Happy One. Un Mourinho, plus mûr, plus calme, plus apaisé, plus heureux peut-être. Mais Mourinho a beau avoir certainement mûri depuis son premier passage à Chelsea, son naturel ne change pas. Il reste ce qu'il a toujours été depuis ses débuts : un entraîneur profondément subversif. José Mourinho a la transgression pour méthode : dans ses entraînements, sa manière de motiver ses joueurs, son personnage public, son discours sur le monde du football. Le Happy One est un personnage temporaire. Tôt ou tard, le Special One - le provocateur génial - réapparaîtra parce qu'il ne sait pas être autrement. La saison ne fait que commencer.
Entre les deux bancs, l'ambiance sera froide mais bien élevée. N'oublions pas qu'il s'est inventé un nouvel avatar : le Happy One. Un Mourinho, plus mûr, plus calme, plus apaisé, plus heureux peut-être. Mais Mourinho a beau avoir certainement mûri depuis son premier passage à Chelsea, son naturel ne change pas. Il reste ce qu'il a toujours été depuis ses débuts : un entraîneur profondément subversif. José Mourinho a la transgression pour méthode : dans ses entraînements, sa manière de motiver ses joueurs, son personnage public, son discours sur le monde du football. Le Happy One est un personnage temporaire. Tôt ou tard, le Special One - le provocateur génial - réapparaîtra parce qu'il ne sait pas être autrement. La saison ne fait que commencer.
Votre "Cas Mourinho" peut se lire comme l'histoire d'un amour déçu. Celui que vous appelez "votre héros" au début de votre portrait ne l'est plus à la fin. Pourquoi la déception prend-t-elle le pas sur l'admiration ? De quand date la cassure ?
De la rupture avec Jorge Valdano, le directeur général du Real en 2011 (à la fin de sa première saison), l'homme qui pour moi incarne le mieux les valeurs et l'histoire du Real. Pour en arriver là, j'ai essayé de m'attacher à l'aura qui entourait jusqu'alors José Mourinho. Tous ceux qui l'ont côtoyé de près en parlent comme d'un être différent, quasi-magique et mystérieux. C'est ce Mourinho-là que j'ai cherché à comprendre. D'où lui vient cette aura ? Et puis ensuite, le meilleur entraîneur du monde arrivait dans le plus grand club du monde. Sur le papier, c'était beau. C'était une belle histoire. Mais au fil du livre, et des trois saisons à Madrid, j'ai découvert un autre Mourinho : tendu, paranoïaque, intriguant et sur la défensive. Son passage au Real a été traumatique pour tout le monde (Real Madrid compris). Cette aventure s'est soldée par un semi-échec sportif et surtout par la démystification du Special One. Au Real, José Mourinho est redevenu humain. Au bout de trois saisons de polémiques et d'intrigues, moi aussi j'en ai eu marre du Special One. Mon héros a fini par me fatiguer. Un peu comme ses joueurs sans doute.
De la rupture avec Jorge Valdano, le directeur général du Real en 2011 (à la fin de sa première saison), l'homme qui pour moi incarne le mieux les valeurs et l'histoire du Real. Pour en arriver là, j'ai essayé de m'attacher à l'aura qui entourait jusqu'alors José Mourinho. Tous ceux qui l'ont côtoyé de près en parlent comme d'un être différent, quasi-magique et mystérieux. C'est ce Mourinho-là que j'ai cherché à comprendre. D'où lui vient cette aura ? Et puis ensuite, le meilleur entraîneur du monde arrivait dans le plus grand club du monde. Sur le papier, c'était beau. C'était une belle histoire. Mais au fil du livre, et des trois saisons à Madrid, j'ai découvert un autre Mourinho : tendu, paranoïaque, intriguant et sur la défensive. Son passage au Real a été traumatique pour tout le monde (Real Madrid compris). Cette aventure s'est soldée par un semi-échec sportif et surtout par la démystification du Special One. Au Real, José Mourinho est redevenu humain. Au bout de trois saisons de polémiques et d'intrigues, moi aussi j'en ai eu marre du Special One. Mon héros a fini par me fatiguer. Un peu comme ses joueurs sans doute.
«Mourinho conçoit la préparation en rupture avec tous ce que font les autres. Il n'entraîne pas des joueurs de foot. Il entraîne des hommes dont le football est le métier.»A travers de nombreux témoignages, de ceux qui ont connu Mourinho à ses débuts, au Portugal, ou comme adjoint au Barça, vous retracez sa formidable trajectoire qui le mène aux sommets de l'Europe. Qui a selon vous le mieux cerné sa personnalité ?
Sans aucun doute Manuel Sergio, son ancien professeur à la faculté de Lisbonne. C'est son mentor. Il n'est ni footballeur, ni entraîneur, c'est un philosophe. Il est le premier à avoir perçu l'intelligence de Mourinho. Il répète souvent que "José Mourinho est un surdoué d'un point de vue intellectuel". De la part d'un homme qui a écrit 37 livres de philosophie et qui est doctor honoris causa de sa faculté, c'est un sacré compliment. C'est lui qui lui a dit un jour "si tu ne t'intéresses qu'au football, tu ne comprendras jamais rien au football". C'est le point de départ de toutes ses méthodes d'entraînement et de préparation révolutionnaires, dont beaucoup s'inspirent maintenant (Villas-Boas à Tottenham, Rodgers à Liverpool, Clarke à West Bromwich...). Mourinho conçoit la préparation en rupture avec tous ce que font les autres. Il n'entraîne pas des joueurs de foot. Il entraîne des hommes dont le football est le métier. Pour lui, il n'y a pas de différence entre le physique, le moral, la tactique et le psychologique. Toutes ces dimensions se mélangent et doivent s'entraîner en même temps. C'est cette recette qui a fait le succès et la légende de Mourinho.
Sans aucun doute Manuel Sergio, son ancien professeur à la faculté de Lisbonne. C'est son mentor. Il n'est ni footballeur, ni entraîneur, c'est un philosophe. Il est le premier à avoir perçu l'intelligence de Mourinho. Il répète souvent que "José Mourinho est un surdoué d'un point de vue intellectuel". De la part d'un homme qui a écrit 37 livres de philosophie et qui est doctor honoris causa de sa faculté, c'est un sacré compliment. C'est lui qui lui a dit un jour "si tu ne t'intéresses qu'au football, tu ne comprendras jamais rien au football". C'est le point de départ de toutes ses méthodes d'entraînement et de préparation révolutionnaires, dont beaucoup s'inspirent maintenant (Villas-Boas à Tottenham, Rodgers à Liverpool, Clarke à West Bromwich...). Mourinho conçoit la préparation en rupture avec tous ce que font les autres. Il n'entraîne pas des joueurs de foot. Il entraîne des hommes dont le football est le métier. Pour lui, il n'y a pas de différence entre le physique, le moral, la tactique et le psychologique. Toutes ces dimensions se mélangent et doivent s'entraîner en même temps. C'est cette recette qui a fait le succès et la légende de Mourinho.
Vous évoquez à plusieurs reprises les épais cahiers dans lesquels Mourinho rassemble ses observations et théorise sa vision du football. Vous attendez-vous à ce qu'il publie un jour les secrets de sa réussite hors normes ? Quel titre lui proposeriez-vous ?
Pour la première fois, il en a exposé quelques pages lors d'une exposition à Setúbal (sa ville natale) en avril dernier. Mais il ne publiera jamais cette "Bible" comme il l'appelle, du moins tant qu'il sera en activité. Pourquoi ? Comme les magiciens, les grands cuisiniers et les grands artistes, Mourinho ne veut pas révéler ses secrets de fabrication. Il donnerait à ses adversaires des armes contre lui et perdrait un peu de son aura. C'est une des raisons pour lesquelles ses entrainements sont toujours à huis clos. José Mourinho tient à rester Special. Il va falloir attendre un peu. Un titre ? Je dirais quelque chose d'assez solennel : "Ainsi parlait le Special One", ou, plus tragique "La mauvaise réputation" ou plus ambitieux "L'Évangile selon José", ou vraiment plus agressif, façon Saint Thomas D'Aquin, "Somme contre les Gentils"...»
* «Le Cas Mourinho» de Thibauld Leplat, éditions Hugo Sport, 16E50. Ouvrage précédent : «Clasico - La guerre des mondes», même éditeur (février 2013).
Pour la première fois, il en a exposé quelques pages lors d'une exposition à Setúbal (sa ville natale) en avril dernier. Mais il ne publiera jamais cette "Bible" comme il l'appelle, du moins tant qu'il sera en activité. Pourquoi ? Comme les magiciens, les grands cuisiniers et les grands artistes, Mourinho ne veut pas révéler ses secrets de fabrication. Il donnerait à ses adversaires des armes contre lui et perdrait un peu de son aura. C'est une des raisons pour lesquelles ses entrainements sont toujours à huis clos. José Mourinho tient à rester Special. Il va falloir attendre un peu. Un titre ? Je dirais quelque chose d'assez solennel : "Ainsi parlait le Special One", ou, plus tragique "La mauvaise réputation" ou plus ambitieux "L'Évangile selon José", ou vraiment plus agressif, façon Saint Thomas D'Aquin, "Somme contre les Gentils"...»
* «Le Cas Mourinho» de Thibauld Leplat, éditions Hugo Sport, 16E50. Ouvrage précédent : «Clasico - La guerre des mondes», même éditeur (février 2013).